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[s. d.]

Godefroi Hermant, Mémoires

Paris : Plon-Nourrit et Cie, 1905-1910

Portrait à charge de Richelieu

Fermement opposé à Richelieu, le mémorialiste dresse de lui le portrait d'un damné exerçant un pouvoir autoritaire sur le monde du théâtre.

Toute la face de l’État reçut un notable changement, sur la fin de cette année, par la mort du cardinal de Richelieu qui s’était taillé de l’ouvrage pour plusieurs siècles sans considérer qu’il était mortel. Il y avait déjà longtemps que l’infirmité et la pourriture de son corps lui prêchaient tous les jours qu’il eût mieux fait de penser sérieusement à la mort que de délasser son esprit, ou pour dire mieux, d’en assoupir et d’en suspendre l’inquiétude, en composant des vers de ballets, et donnant aux poètes des desseins de comédies où il faisait entrer lui-même plusieurs vers de sa façon. C’était son plus agréable divertissement au retour de chaque campagne. Mais il voulait que le jugement des pièces de théâtre dépendît absolument de son approbation ou de sa censure ; la voix publique l’irritait quand le témoignage qu’elle rendait aux auteurs était contraire à son inclination, et ce fut dans cet esprit que, par une jalousie basse et qui n’était digne que du caractère de Néron, il ne put souffrir la réputation du Cid de Corneille, engagea l’Académie à écrire contre et, pour déshonorer cette pièce, la fit représenter par les marmitons de sa cuisine. La comédie qu’il intitula l’Europe, et qu’il fit souvent jouer devant lui, offensa extraordinairement tout le monde ; et on eut de l’indignation, qu’après avoir rempli toute l’Europe de sang et de carnage, il eût si peu de respect pour ses princes et ses souverains que de les faire servir à son divertissement en les faisant monter l’un après l’autre sur le théâtre.


Édition en ligne sur Gallica t.I, p.175


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